Quelle relation entre Qualiopi et le collectif de travail ?

La démarche qualité mise en oeuvre par les OPAC doit-elle être uniquement considérée comme une réponse à un impératif règlementaire ? 

Dans cet article, je voudrais justement interroger cet impératif réglementaire.
S
ur le plan de la qualité de la formation et celui de la justification des fonds engagés pour financer les prestations, il s’avère totalement justifié.
Néanmoins, il peut venir
questionner voire bousculer l’organisation-même du travail au sein d’un collectif de collaborateurs aux compétences et profils différents.


BALBUTIEMMENTS D’UNE DEMARCHE QUALITE 

Un mouvement de fond s’est développé au fil des années en termes de démarche qualité dans différents secteurs.
Celui de la formation professionnelle a commencé à en connaître les prémices dès 2014 avec l’arrivée de « Data-dock ».

Lors de précédentes fonctions dans le secteur du bâtiment, j’avais déjà pu observer cette évolution, notamment lors de l’apparition de la mention « RGE » (Reconnu garant de l’environnement), qualification (liée à un métier) et non une certification, permettant d’attester d’une expertise dans une catégorie de travaux et de l’excellence dans la réalisation de chantiers. Cette mention permettait de pouvoir faire bénéficier sa clientèle de financements divers (crédits d’impôts, CEE, Eco-PTZ…).
Cela devenait donc un impératif, malgré l’existence depuis une dizaine d’années d’autres démarches qualité volontaires dans l’univers du bâtiment (Qualibat, Qualifelec, OPQIBI, I.Cert, Certibat…).

Avec l’émergence de « RGE » étaient apparues les réticences et tiraillements devant cette approche qui visaient à démontrer qu’on faisait bien son travail et qu’on respectait les règles de l’art. Les mêmes émois ont secoué la sphère formation lors de la naissance de « Data-dock ».

Ces deux démarches, « RGE » et « Data-dock », n’étaient pourtant pas des certifications et, de mon point de vue, n’ont pas appelé de réelles évolutions de l’organisation du travail dans les structures concernées.

« RGE » allait néanmoins plus loin que « Data-dock ». En effet, dans ce premier domaine du bâtiment, il y avait déjà (et toujours) des audits réguliers de chantiers, alors que, dans le domaine de la formation, « Data-dock » restait une démarche déclarative et les « contrôles » diligentés par un financeur ou par le GIE Data-dock restaient plutôt rares (de l’ordre de 1000 à 2000 par an).

Pour ceux qui voulaient aller plus loin et démontrer leur engagement qualité de manière plus appuyée, le choix d’une qualification ou certification volontaire s’avérait dès lors incontournable. Des  organismes comme ICPF-PSI, I.Cert, ISQ, et bien d’autres proposaient des « certifications et labels qualités » pour la plupart reconnus par le « CNEFOP » comme valides pour démontrer le respect les critères du décret du 30.06.2015 (le fameux « Acte I » de la qualité).

L’ensemble de ces démarches, bien qu’exigeantes et rigoureuses, n’ont pas entraîné les mêmes débats que ceux générés par la naissance de Qualiopi. Elles étaient avant tout l’affaire de spécialistes, qui occupait souvent des fonctions dédiées au sein de leurs structures respectives et ne semblaient pas autant partagées ou à partager, au sein des collectifs de travail.

Elles ont en revanche complexifié la lecture du paysage qualité de la formation professionnelle est ainsi rapidement puisque la liste CNEFOP a fini par compter plus de 50 labels et certificats. Comment les clients, prospects et prescripteurs pouvaient-ils s’y retrouver ?

Il y avait donc urgence à clarifier tout cela et à offrir une certification unique, fondée sur des échantillons de preuves, et demandant aux organisations de réinterroger leurs pratiques.

QUALIOPI, UNE PETITE REVOLUTION DANS LES COLLECTIFS DE TRAVAIL

Ce que j’ai constaté au travers de mes expériences d’accompagnement et de formation autour de Qualiopi, c’est une sorte de révolution dans les manières de travailler et d’engager les équipes dans la mise en œuvre des prestations.
Je parle de ces collectifs de travail constitués de personnes ayant des profils et des expérience diversifiées. 

Ce que j’ai constaté, c’est que la démarche qualité Qualiopi est venue bouleverser ces collectifs en faisant se rencontrer ou dialoguer certains de leurs protagonistes, qui ont eu à se coordonner ou à prendre des décisions pour assurer le déploiement de la démarche dans leur OPAC.
De nombreux témoignages évoquent les multiples réunions et le temps de préparation nécessaire pour se préparer à l’audit initial.
A la différence de « Data-dock », où il s’est agi surtout de sélectionner des documents ou procédures au sein de l’organisation, la démarche Qualiopi, demande avant tout de « démontrer » la mise en place d’une organisation et non plus de « déclarer » des éléments reflétant celle-ci.
Elle nécessite donc des échanges, et vraisemblablement des arbitrages, entre les membres d’un même collectif de travail (et cela peut concerner tout aussi bien des parties prenantes externes, comme les sous-traitants par exemple).

Au-delà des réponses à apporter vis-à-vis de chaque indicateur, on a vu apparaître bien d’autres décisions à prendre au sein des collectifs, telles que

  • Doit-on se doter d’un logiciel de gestion des prestations ?
  • Doit-on créer de nouvelles fonctions, voire embaucher ?
  • Qui va s’occuper de faire le retour des appréciations auprès des parties prenantes internes ?
  • Comment les responsables pédagogiques auront à se coordonner avec les personnes en charge des RH pour démontrer la mise en œuvre d’un plan de développement des compétences ?
  • Dans la diffusion des offres de prestations, comment et par qui s’assurer de la mise à jour des données datées ?

 

Tant de nouvelles interrogations qui indiquent qu’il ne s’agit pas seulement de fournir des réponses à tel ou tel indicateur, mais que celles-ci proviennent bien souvent de choix organisationnels à effectuer au préalable ou d’affectations de moyens là où on n’en avait pas forcément ressenti la nécessité précédemment.

 

L’EMERGENCE D’UNE INGENIERIE ORGANISATIONNELLE

Formaliser des processus, c’est bien souvent dire ce qu’on faisait déjà ou, bien plus souvent, ce qu’on fera désormais. Et comment le dit-on « ensemble » ? Cela peut bien entendu se dire par une personne désignée pour cela, mais est-ce que cela sera « entendu » par les autres membres du collectif ? 

Ce que j’ai pu voir émerger dans certains contextes, notamment chez ceux qui avaient fait le pari d’une opportunité de revisiter par là les méthodes de travail des équipes, c’est bien une « ingénierie organisationnelle ».
A travers tout ce temps de préparation et d’apprentissage pour être « conformes » vis-à-vis du référentiel Qualiopi, mais aussi à travers les modalités d’accompagnement mises en œuvres par des consultant.e.s externes (voire internes), cette donnée essentielle, qui est de faire travailler ensemble des personnes autour d’un objectif commun, a finalement été interrogée.

Ces leçons à tirer de ces milliers de certifications qui ont été obtenues tout au long des deux dernières années démontrent qu’il ne s’agissait pas tout à fait d’être seulement « prêts » en vue d’un audit initial, vécu pour beaucoup comme un examen de passage, mais bien souvent de repenser une nouvelle organisation des activités. Et celle-ci doit être pensée dans la durée.
De cette contrainte réglementaire émergent d’autres possibles : 

  • une meilleure écoute des besoins des clients et bénéficiaires,
  • une professionnalisation accrue des équipes,
  • un cadre d’analyse de la réalisation des prestations en vue d’apporter corrections et améliorations, etc.

 

Cela ne coule pas de source, bien évidemment. Le risque pour certaines structures, c’est d’éluder ces questions et de considérer Qualiopi comme une contrainte supplémentaire. Ce qui est proposé à travers cette communication, c’est de profiter de celle-ci pour en faire un axe d’interrogation collective des méthodes de travail ayant cours dans chaque organisme, de se doter de la possibilité de partager points de vue, expériences et visions au sein de chaque collectif.

Au moment où les audits de surveillance commencent à se multiplier, et lorsque viendront les audits de renouvellement, comment s’assurer que ce qui aura été préparé un an et demi plus tôt est toujours présent dans l’organisation, qui d’ailleurs aura pu connaître des départs et des arrivées au sein du personnel, et comment vérifier que la démarche a été durable et le restera ? 

A mon sens, cela dépasse le seul cadre de démonstration de conformité vis-à-vis du référentiel. Il est question de management, de développement des compétences, de stratégie qui requiert d’ailleurs une activité de veille structurée et constante dont l’organisme devra tirer profit pour faire évoluer ses prestations, mais aussi d’une coordination entre toutes les personnes contribuant à l’efficacité d’une organisation, qu’elles soient internes ou externes.

Ce texte est donc une invitation à s’interroger sur les nouveaux enjeux organisationnels des structures comme les nôtres, qui ont à se repenser en permanence dans un contexte évoluant sans cesse. 

 

Il n’apporte pas de réponse, bien entendu, car de multiples approches sont possibles, comme convoquer la sociologie des organisations, l’accompagnement au changement, les méthodes de l’intelligence collective, l’ergonomie organisationnelle, ou encore, comme je l’ai vécu dernièrement, l’autobiographie raisonnée collective, etc. Tant d’approches originales peuvent être déployées pour accompagner les collectifs pour les aider à (re)penser leurs méthodes et leur organisation, ou bien à résoudre les problématiques ou difficultés qui ont pu émerger dans le déploiement de leur démarche pour répondre à Qualiopi. Des spécialistes de l’accompagnement à la mise en œuvre de Qualiopi en ont eu sans doute conscience et ont contribué à la prise de conscience de toutes ces évolutions structurelles des organismes qui ont été suivis et conseillés.

Prenons l’exemple de l’indicateur 18 relatif à la coordination entre les intervenant.e.s. S’il s’agit de produire avant tout un organigramme, ce qui peut être une réponse envisageable pour être conforme  vis-à-vis de l’indicateur, il est à parier que l’auditeur/trice sera plus sensible au fonctionnement effectif dans la coordination, ce qui est plutôt attendu dans le cadre d’un audit. C’est-à-dire au « travail réel » et non au « travail prescrit », comme nous l’apprend l’ergonomie par exemple, un organigramme étant plutôt une vision idéale d’une organisation, et ainsi plus proche de ce que peut entendre par une prescription dans le travail. C’est bien au travail réel qu’il s’agirait de prêter attention.

Puisque désormais Qualiopi est une aventure qui va nous entraîner durablement dans une réflexion constante sur ce qui fait l’identité, le modèle économique, le cadre innovant particulier de chacun de nos organismes, il est souligné ici qu’il s’agit avant tout de s’assurer que cette activité est avant tout le fait de personnes qui s’interrogent sur leur place au sein de leur collectif de travail et ont conscience des nouvelles possibilités qui leur sont désormais offertes de repenser leurs relations avec leurs collègues. Cela peut donc être un tout nouvel esprit de coordination et coopération qui peut être insufflé dans nos organisations.

 

Pascal Lécaille

Je suis consultant-formateur, spécialiste du secteur de la formation professionnelle pour tout ce qui relève des démarches qualité, ingénierie de parcours de formation, ingénierie financière et développement des compétences auprès de prestataires de formation et d’entreprises.

Depuis 2016, je suis actif dans le domaine de la qualité en formation professionnelle, tout d’abord avec Data-dock, puis « Qualiopi » dont je suis les développements depuis le premier semestre 2019. J’ai ainsi réalisé des missions et prestations relatives à la mise en œuvre de la certification Qualiopi auprès d’organismes relevant de l’économie sociale et solidaire (ESS) et d’autres secteurs. J’apprécie de réaliser des accompagnements de structures pour la mise en œuvre de la certification qualité, ce qui selon moi permet d’insuffler un nouveau sens aux activités et de faire travailler un collectif autour d’un tel projet.

Passionné par ce domaine, je mène également une veille active sur tout ce qui a trait à l’écosystème de la formation professionnelle (réformes, financements, innovations…), ce qui me permet de rejoindre « Veille Formation » en tant que partenaire.

Page d’activité sur LinkedIn « Qualicop » : linkedin.com/in/pascal-lecaillequalicoop